L'usage de calculatrices électroniques de poche à alimentation autonome, non imprimantes et sans document d'accompagnement, est autorisé pour toutes les épreuves d'admissibilité, sauf pour les épreuves de français et de langues. Cependant, une seule calculatrice à la fois est admise sur la table ou le poste de travail, et aucun échange n'est autorisé entre les candidats.
Preliminaire
La notion de conflit entre organismes est fondamentale en biologie de l'évolution: concurrence pour l'accès aux ressources au sein d'une mème espèce, conflit entre une espèce prédatrice et ses proies, ou entre une espèce hôte et ses parasites. La théorie des jeux, issue de l'économie, permet de modéliser les effets d'un conflit sur la valeur sélective de chaque phénotype en présence. L'idée générale est que, dans son interaction conflictuelle avec un adversaire, un joueur donné adopte une certaine stratégie; le bilan de l'interaction se solde par un payoff, c'est à dire un gain ou une perte qui dépend de la stratégie du joueur et de celle adoptée par l'adversaire. Dans le contexte biologique, un coup du jeu représente l'interaction, la stratégie est vue comme un trait phénotypique, le payoff est répercuté sur le succès reproducteur, et la sélection naturelle remplace la rationalité des joueurs. L'étude proposée dans ce problème est motivée par la question de la diversification, au cours de l'évolution, des stratégies d'attaque et de résistance d'une espèce parasite et de son espèce hôte.
Dans tout le problème on considère un jeu à somme nulle opposant deux adversaires, c'est à dire qu'à chaque coup le payoff gagné (ou perdu) par un joueur est exactement égal à l'opposé du payoff perdu (ou gagné) par son adversaire.
On note R l'ensemble des nombres réels; , l'ensemble des nombres entiers strictement positifs ; , l'ensemble des matrices à coefficients réels comportant lignes et colonnes. On suppose que les joueurs (1) et (2) disposent de et stratégies respectivement. Pour tout et tout , on note le payoff du joueur (1) contre le joueur (2) si (1) choisit la stratégie et (2) choisit la stratégie . On note la 'matrice du jeu' dont les coefficients sont les réels . Dans un jeu à somme nulle, le joueur (1) cherche une stratégie qui maximise son payoff, tandis que le joueur (2) cherche une stratégie qui minimise son propre payoff.
On peut traiter les Parties I à IV indépendamment les unes des autres à condition d'avoir pris connaissance des notions introduites dans la ou les Parties précédentes (indiquées en caractères gras). La Partie V vise à établir des résultats techniques sur la distribution de sommes de variables aléatoires indépendantes. Elle peut être résolue de manière complètement
indépendante des Parties I-IV. Cependant, on évitera d'aborder les questions V. 4 et V.5, plus difficiles, au détriment de la résolution du reste du problème.
Toutes les variables aléatoires qui interviennent sont réelles. désigne l'espérance mathématique d'une variable aléatoire désigne la probabilité d'un événement . On utilise la notation ' pour indiquer la transposition du vecteur ou de la matrice .
Partie I Stratégies optimales, point-selle.
I.1. Montrer que le joueur (1) peut choisir une stratégie qui lui garantisse un gain au moins égal à , et que le joueur (2) peut choisir une stratégie qui lui garantisse une perte au plus égale à .
I.2. Montrer : .
1.3. Lorsqu'il y a égalité, , on note la valeur commune à ces deux termes. Montrer qu'il existe alors deux entiers et tels que , et pour tout et tout .
I.4. Réciproquement, montrer que s'il existe un couple tel que pour tout et tout on a , alors on est dans le cas d'égalité , et cette valeur est égale à .
Dans ce cas, on dit alors que et sont les stratégies optimales des joueurs (1) et (2) respectivement, et que le couple est un point-selle du jeu.
I.5. Montrer que si et sont deux points-selle du jeu, alors .
I.6. "Caillou-papier-ciseaux" est un célèbre jeu enfantin. Deux joueurs disposent chacun des trois stratégies "caillou", "papier" et "ciseaux". A chaque coup du jeu, les joueurs annoncent simultanément leur choix, "caillou", ou "papier", ou "ciseaux". En cas d'annonces identiques, le coup compte zéro pour les deux joueurs; sinon, "ciseaux" bat " papier ", qui bat " caillou ", qui bat " ciseaux ", et le gagnant rafle une unité au perdant. Ecrire la matrice du jeu. Ce jeu possède-t-il un point-selle?
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Partie II
Stratégies mixtes, théorème du minimax.
Soit un entier . On désigne par l'ensemble des vecteurs de dont les coordonnées sont positives ou nulles et ont une somme égale à 1 . Un élément de est appelé «stratégie mixte " pour le joueur (1) ; et on appelle un élément de , une stratégie mixte pour le joueur (2). L'interprétation de la notion de stratégie mixte (respectivement est que le joueur (1) [resp. (2)] joue chacune des stratégies avec probabilité (resp. avec probabilité ).
II.1. Montrer que le joueur (1) peut choisir une stratégie mixte qui lui garantisse un gain au moins égal à , et que le joueur (2) peut choisir une stratégie mixte qui lui garantisse une perte au plus égale à .
II.2. Montrer : .
Dans la suite de cette partie on fixe (tous les résultats établis en dimension 3 pourraient se généraliser en dimension supérieure). Soit un point de l'espace affine définissant l'origine d'un repère orthonormé. Pour tout point on note le vecteur d'extrémités et . Sur l'espace affine on définit la distance euclidienne de deux points quelconques a et , notée , en posant: , où les réels et sont les coordonnées de et . Etant donnés points , fixés, on définit l'enveloppe convexe de ces points comme étant l'ensemble des points pour lesquels il existe réels (qui dépendent de ) tous positifs ou nuls, de somme égale à 1 , et tels que
II.3. Montrer que, en effet, l'ensemble est convexe, c'est à dire que quels que soient , et , le point défini par appartient à .
II.4. On suppose que n'appartient pas à . On admet qu'il existe alors tel que , ce qui signifie que réalise la distance de à . Montrer que pour tout de coordonnées , on a:
On pourra pour cela écrire que le point défini par appartient à quel que soit , et utiliser la définition de .
II.5. On définit les points , et on considère ici l'enveloppe convexe des points . Montrer les deux propositions suivantes
(i) si , alors il existe tel que pour tout ,
(ii) si , alors il existe tel que pour tout ,
II.6. En utilisant le résultat de la question précédente, montrer qu'on a :
ou (exclusif)
En déduire : .
La quantité définie à la question II. 6 est appelée valeur du jeu défini par la matrice .
Partie III
Probabilité de l'existence d'un point-selle.
On suppose dans cette Partie III que les coefficients de la matrice de jeu sont des variables aléatoires indépendantes, identiquement distribuées. On note leur fonction de répartition commune. On définit les évènements suivants: «A possède un point-selle», " est un point-selle de ", «tous les coefficients de A sont distincts».
III.1. On suppose que la fonction est continue. Montrer : .
III.2. En utilisant le résultat de la question I.5, montrer : .
III.3. En déduire : . Comment varie quand ou augmente?
III.4. Soit dont les coefficients sont tirés selon la même loi de Bernoulli: , où . Calculer la probabilité de l'existence d'un pointselle pour une telle matrice . Commenter le résultat en le comparant à calculé à la question précédente.
Partie IV
Comportement asymptotique de la valeur d'un jeu aléatoire lorsque le nombre de stratégies augmente
On considère une suite double , de variables aléatoires réelles. On définit la matrice de jeu dont les coefficients sont les avec et . On note , ou plus simplement , la variable aléatoire égale à la valeur du jeu défini par (la notion de valeur d'un jeu a été introduite à la question II.6).
IV. 1. Soit un réel quelconque. Montrer les inégalités:
On suppose désormais que les variables aléatoires sont indépendantes et distribuées identiquement à une variable aléatoire . On suppose que admet une densité.
On considère deux suites d'entiers notées et strictement croissantes. On pose .
IV. 2. On suppose qu'il existe un réel tel que soit finie pour tout . On suppose de plus que et . En majorant à l'aide des inégalités de la question IV.1, et en utilisant les Théorèmes 1 et 2 (cf. Partie V), montrer que pour tout , on a : .
IV. 3. On suppose qu'il existe un réel tel que soit finie. On suppose de plus que et . En majorant comme à la question précédente à l'aide des inégalités de la question IV.1, et en utilisant les Théorèmes 3 et 4 (cf. Partie V), montrer que pour tout , on a : .
Partie V
Théorèmes auxiliaires.
V. 1. Soit X une variable aléatoire réelle. On suppose que admet une densité . Montrer l'équivalence des trois propriétés :
(i) Il existe un réel tel que soit finie pour tout .
(ii) Il existe un réel tel que soit finie.
(iii) Il existe des réels et tels que pour tout réel , .
Montrer de plus que si , alors (i), (ii) et (iii) sont aussi équivalentes à l'assertion :
(iv) Il existe des réels et tels que pour tout .
L'ensemble de ces équivalences constitue le Théorème 1 invoqué dans la Partie IV.
V. 2. On considère variables aléatoires indépendantes et on pose . On suppose qu'il existe des réels strictement positifs et tels que pour tout et tout on a : . On pose . Montrer :
Pour cela, on pourra considérer la variable aléatoire positive et majorer à l'aide de .
Ce résultat constitue le Théorème 2 invoqué dans la Partie IV.
V. 3. On se propose dans cette question et la suivante d'établir le résultat qui constitue le Théorème 3 invoqué dans la Partie IV :
Soit , une suite de variables aléatoires indépendantes, identiquement distribuées. On définit . On suppose qu'il existe un réel tel que ; on suppose de plus que pour tout . Alors, pour tout , on a : .
V. 3. 1. Soit une variable aléatoire. On définit une variable aléatoire , dite 'symétrisée' de , en posant où et sont indépendantes et identiquement distribuées. Par ailleurs, on appelle médiane de tout réel, noté , tel que et . Soit un réel strictement positif. En considérant les évènements , et , et en prenant , montrer :
Montrer aussi que pour tout réel , on a :
On se place sous les hypothèses du Théorème 3. On définit la suite de variables aléatoires symétrisées à partir de la suite en écrivant où et la variable aléatoire sont identiquement distribuées, et et sont indépendantes. On pose . On note une médiane de la variable aléatoire .
V. 3. 2. Montrer : .
V. 3. 3. Soit un réel strictement positif. Montrer que si , alors :
V. 3. 4. Montrer: .
V. 3. 5. Achever alors la preuve du Théorème 3.
La question V. 4 est donc destinée à prouver que, pour tout .
V. 4. 1. Pour tout et tout entier , on pose si si . On définit alors . Soit un réel strictement positif. Ecrire une majoration de en fonction de , et .
Soit un entier pair, . Dans la suite de cette question V.4, on fixe entiers strictement positifs tels que .
V. 4. 2. Montrer qu'il existe une constante telle que, pour tout :
V. 4. 3. Pour , on pose . En procédant à une intégration par parties, et en utilisant le résultat de la question V.3.2, montrer que si , si , et si .
V. 4. 4. Soient les nombres d'entiers , respectivement plus petits que, égaux à, et plus grands que . On pose aussi . Montrer que dans l'ïnégalité V.4.2, le membre de droite est , et que cette quantité est ellemême . Conclure.
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V. 5. Soit , une suite de variables aléatoires indépendantes, identiquement distribuées. On définit . On suppose que et qu'il existe un réel tel que soit finie. Montrer qu'on a: , et que pour tout , .
Ce résultat constitue le Théorème 4 invoqué dans la Partie IV.
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